Philippe Ségéral



PASCAL RIOU

De la nature des hommes


C'est le soir ; on voit le soleil bientôt
qui basculera derrière la crête
et le vallon déjà repose dans l'ombre.
La lumière en cette heure est haute,
fière et presque aveuglante d'être dernière
et par elle, dressé dans le regard, c'est un flux
incessant de milliers d'insectes, montant,
descendant, librement sertis dans la chaleur :
ils disparaissent dans l'ombre, reviennent
dans l'échancrure lumineuse, ou ce sont d'autres
ensuite qui se rassemblent en tourbillons légers
au-dessus des branches.
Et nous voici arrêtés,
saisis par cette vie si proche quoique invisible
hors de la lumière du soir.
Nous disons à l'ami :
regarde le vol, c'est l'été, le soir d'été,
les atomes amoureux, l'inachevable, la vie
sans autre fin qu'elle-même.
Arrêtés un instant
alors que les hôtes vont
d'une maison à l'autre,
bavardent, sourient, boivent, eux aussi
la déclinaison du monde, eux comme nous
ignorants mais poussés par le désir,
nature en eux, en nous
comme ce qui est à naître
ou sur le point de naître.

En de telles heures, si prodigieuse, si prodigue la vie, l'animale poussée, certes, nous pourrions rester longtemps ou revenir par la mémoire, l'écriture, et dresser la table, nappe tendue pour Francis ou Paul.

Car nous pressentons que ce branle léger n'est pas exempt des étoiles qui vont saillir avec la nuit ni du jeu, sans âge lui aussi, des pierres du vallon avec les arbres de l'ubac.

Mais nous ne serons jamais, nous qui le disons,
ce grand jeu splendide d'élytres et d'antennes,
d'ailes en poudroiement. Car nous seuls
échangeons le vin et la parole, nommons
le goût des fruits, le sel des larmes,
la mémoire en appel que tracent les défunts
(et leur absence peut bien s'attiédir
comme la fin de la journée,
nous recouvrir telle une laine jetée, inapparente
sur nos épaules, notre cœur sera paisible,
rien en nous ne se résout à les croire devenus
atomes insensibles dans la chute sans nom).
Oui, même si notre bouche vient à dire :
c'est ainsi, la nature des choses,
toute voûte s'éboule et la vie resurgit
dans l'insécable diversité.
Certes murmure l'âme, certes,
mais l'âme justement, oui l'âme
en tout visage, dans la fibre et la chair
— et le sourire et l'unique donc
voilà notre poursuite et notre seule faim.


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