Philippe Ségéral

Catalogue Philippe Ségéral, dessins et pastels 1982-96 (1996)

Catalogue de l'exposition Philippe Ségéral Dessins et pastels 82-96, Saint-Quentin, Espace Saint Jacques, 30.10-28.11.1996.
12 pp., 21 x 19,5 cm, 7 ill.
Texte de Christian Noorbergen.


Ségéral ou l'espace ébloui

Dessins en vibrations premières, taches d'origine s'organisant d'elles-mêmes, et peu à peu prenant formes reconnaissables, sans jamais rompre le lien avec le sans-fond original, le sans-nom de toute naissance.
Taches violeuses de vide. Qui ne cessent de s'étendre, débordant toute limite, à peine arrêtées par le surgissement des choses. Rituel d'apparition sans fin renouvelé.
L'opacité règne. Les dehors sont de nuit, et Ségéral apprivoise les ténèbres.
Murmures d'intensité jouant sans relâche sur les gradins inconscients de l'esprit.
Né de l'abîme, le trait menace la lumière et, comme une brûlure, envahit ces fragiles demeures de papier.
Le ciel est une grotte immense et il n'y a pas d'île pour la sérénité...
Le monde a pris les couleurs de l'obscurité, et la lèpre du désir, emplie d'amour et d'angoisse, étale sans limite ses filaments sombres.
Une terrifiante aveugle puissance hante les œuvres de Ségéral, et une non moins terrifiante contagion s'empare du spectateur. L'artiste a transformé l'univers. L'ombre et la lumière ont échangé leurs pouvoirs, les repères du visible ont cassé leurs digues, et les vagues de la nuit déferlent...
Le chaos veille.
Ainsi l'identique a disparu. L'altérité dévore les habitudes visuelles, et Ségéral accidente crûment tous les possibles.
Chaque émergence formelle, infime ou gigantesque, surprend qui la regarde, car elle déboussole l'étendue.
Et l'espace dérangé devient fascinant territoire d'inquiétude.
La surface des choses est balayée, emportée, comme sabre éclaté sous la pression unique d'un œil tellurique, dans un paysage de vents...
Ségéral saisit l'acte créateur à la gorge. Son art entier est métaphore de la création. Il ne crée pas les choses par leur contour : il les recrée, par l'ailleurs, dans l'abîme, et par inarrêtable implacable expansion.
C'est la trame maculée / immaculée du dedans le plus profond que transmet l'artiste, quand la nuit mentale, dans l'univers indéfiniment broyé et reconstruit, ne laisse filtrer que l'essentiel.
Car l'espace ébloui devient fantôme.

Christian Noorbergen, 20.8.96



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